ACTION POUR DOL ATTACHEE A L'IMMEUBLE 

04/09/2018 - La faute dolosive du constructeur, s’analysant en une action contractuelle, est attachée à l’immeuble et transmissible aux acquéreurs successifs.

En 1987, M. et Mme A... avaient confié à la Société Maisons Pierre la construction d’une maison individuelle. La livraison était intervenue sans réserve le 24 novembre 1987. En 1991, M. et Mme A... ont vendu leur maison à M. et Mme Y..., qui, en avril 2005, l’avaient revendue aux consorts X.... Des désordres affectant le réseau électrique et la charpente étant constatés, les consorts X... avaient, après expertise, assigné M. et Mme A..., M. et Mme Y... et la société Maisons Pierre en indemnisation de leurs préjudices. 
 
Par un arrêt du 24 mars 2017, la Cour d’appel de Paris avait déclaré recevable l’action contractuelle pour faute dolosive engagée par les consorts X... 
 
Ayant formé pourvoi, la Société Maisons Pierre avait contesté un dol commis par le constructeur à l’égard du maître de l’ouvrage, au motif qu’il ne se transmettait pas au sous-acquéreur ; que l’action exercée par ce dernier à l’encontre du constructeur ne pouvait donc être que de nature délictuelle. En retenant que l’action contractuelle du maître de l’ouvrage fondée sur la faute dolosive du constructeur était attachée à l’immeuble et transmissible au sous-acquéreur, la Société Maisons Pierre soutenait que la Cour d’appel avait violé les articles 1147, 1165 et 1382 du code civil, en leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016. 
 
La Cour de cassation, par son arrêt du 12 juillet 2018, a ainsi statué : « Mais attendu qu’ayant retenu, à bon droit, que l’action engagée par les consorts X..., sur le fondement de la faute dolosive du constructeur, s’analysait en une action contractuelle et que, attachée à l’immeuble, elle était transmissible aux acquéreurs successifs, la cour d’appel en a exactement déduit que cette action était recevable ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ». 
 
La Cour de cassation a par ailleurs ainsi qualifié la faute dolosive : « Mais attendu qu’ayant retenu que la société Maisons Pierre avait présidé à la livraison et à la remise des clefs, que l’examen des lieux lors de la réception ne pouvait manquer de révéler la modification de la structure réalisée sur la charpente par le sciage des contreventements des fermettes et les insuffisances du plancher, qui n’était pas destiné à supporter des combles habitables, et que la société Maisons Pierre ne pouvait ignorer le projet d’aménagement des combles puisque M. et Mme A... avaient déposé une demande de permis de construire modificatif à cette fin, la cour d’appel a pu en déduire que, cette société ayant remis les clefs de la maison en demeurant taisante, une violation délibérée et consciente de ses obligations contractuelles était caractérisée ». 
 
Cass. Civ. III, 12 juillet 2018, n°17-20627 

INCENDIE ET CAUSE INDETERMINEE 

27/08/2018 - La cause de l’incendie des biens loués, bien qu’indéterminée, n’exonère pas le bailleur de tout dédommagement.

Le 22 mars 2011, un incendie se déclarait dans une salle de spectacle dépendant d’un immeuble, propriété de la société 72 rue Rochechouart, et se propageait aux locaux pris à bail et exploités dans le même immeuble par les sociétés Commerciale de Montmartre (SCM) et Alaska Glacière. La bailleresse notifiait la résiliation de plein droit du bail à chacune des sociétés locataires. Le 1er septembre 2014, les sociétés SCM et Alaska glacière assignèrent la bailleresse et ses assureurs, les sociétés Axa France IARD et Allianz IARD, en indemnisation des troubles de jouissance subis. 

Pour rejeter les demandes de la société SCM et de la société Alaska glacière, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 2 mai 2017 retint que la cause de l’incendie était indéterminée de sorte que le bailleur était exonéré de tout dédommagement. 

La Cour de cassation censura cet arrêt aux termes de l’attendu suivant et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée : 

« Qu’en statuant ainsi, alors que l’incendie qui se déclare dans les locaux d’un colocataire et dont la cause n’est pas déterminée ne caractérise pas un cas fortuit et que le bailleur est responsable envers les autres locataires des troubles de jouissance du fait de l’incendie, la cour d’appel a violé le second texte susvisé (1722 du Code civil), par fausse application, et le premier texte susvisé (1719 du même Code), par refus d’application ». 

Cass. Civ. III, 12 juillet 2018, n° 17-20696

TRAVAUX LIMITES ET GARANTIE DECENNALE 

10/06/2018 - Les travaux limités de réparation d’une toiture ne relèvent pas de la garantie décennale. Attention, il s'agit toutefois d'un cas d'espèce.

A la suite de fuites sur une toiture vétuste, un maître d’ouvrage avait confié des travaux de réparation à une entreprise, chargée de la reprise de l’étanchéité des chenaux et de la remise en état de vitrages. 

Trois ans après leur réalisation, le maître d’ouvrage déplorait la réapparition d’infiltrations d’eau. L’entreprise était assignée en justice. Le maître d’ouvrage invoquait notamment la responsabilité décennale de l’entreprise, prévue à l’article 1792 du Code civil. 
 
La responsabilité décennale est conditionnée à l’existence d’un ouvrage, notion qui n’est pas définie par les textes. La question, cent fois rebattue, était de savoir si des travaux de simple réparation peuvent être considérés comme constitutifs d’un ouvrage. 
 
Les premiers juges refusèrent cette qualification au cas d’espèce, écartant la responsabilité décennale de l’entreprise, après avoir relevé la modeste ampleur des prestations, leur caractère localisé et leur coût réduit. 
 
Le maître d’ouvrage interjeta appel, et par un arrêt du 15 décembre 2016, la cour d’appel d’Orléans rejeta ses arguments du maître d’ouvrage, considérant que ces travaux ne pouvaient être assimilés à un élément constitutif de l’ouvrage en raison de leur modeste importance, sans incorporation de matériaux nouveaux à l’ouvrage. Plusieurs éléments furent pris en compte : le caractère limité des prestations, le fait que leur coût ne représentait que 7,54 % de la dépense à exposer pour la réfection complète de la couverture, et le caractère provisoire des réparations dans l’attente d’une reprise totale de cette toiture vétuste. 
 
La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi par le maître d’ouvrage, a confirmé cette position par un arrêt de la Troisième Chambre prononcé le 28 février 2018 dans les thermes suivants : 
 
« Sur le premier moyen : Attendu que la société ARO fait grief à l'arrêt de d'écarter l'application du régime de responsabilité institué par les articles 1792 et suivants du code civil, alors, selon le moyen, qu'en constatant que des travaux d'étanchéité de la toiture de l'immeuble appartenant à la société Aro avaient été confiés à la société Cometil sans en déduire qu'il relevait de la garantie décennale, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ; 
 
Mais attendu qu'ayant exactement retenu qu'en raison de leur modeste importance, sans incorporation de matériaux nouveaux à l'ouvrage, les travaux, qui correspondaient à une réparation limitée dans l'attente de l'inéluctable réfection complète d'une toiture à la vétusté manifeste, ne constituaient pas un élément constitutif de l'ouvrage, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, qu'il convenait d'écarter l'application du régime de responsabilité institué par l'article 1792 du code civil ; 
 
Sur le deuxième moyen : Attendu que la société ARO fait grief à l'arrêt de rejeter tous ses chefs de prétention au titre de la responsabilité contractuelle de la société Cometil ; 
 
Mais attendu qu'ayant constaté que l'expert indiquait que l'essentiel des infiltrations constatées en 2011 provenait de l'absence ou de la dégradation des étanchéités entre vitrages et chéneaux, d'une part, et chéneaux et tôles ondulées, d'autre part, et que l'intervention de la société Cometil s'était limitée à l'intérieur des chéneaux et à la réparation des vitrages sans analyser ces jonctions vitrage/chéneaux et tôle/chéneaux, la cour d'appel, qui a relevé qu'il en résultait que de telles fuites étaient sans lien avec les travaux prévus au devis et exécutés, puisque l'expert reprochait à l'entreprise de n'avoir pas recommandé de faire aussi des travaux au niveau de cet espace de liaison, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ; 
 
Sur le troisième moyen : Attendu que la société ARO fait grief à l'arrêt de rejeter tous ses chefs de prétention au titre du devoir de conseil de la société Cometil ; 
 
Mais attendu qu'ayant relevé, sans modifier l'objet du litige, que la société ARO soutenait que la société Cometil avait engagé sa responsabilité contractuelle en limitant son intervention à la seule réfection de l'étanchéité des chéneaux et des vitrages surplombants, sans lui recommander d'autres solutions, ni l'aviser des risques induits par le fait de s'en tenir aux prestations définies dans le devis et, sans se fonder sur une immixtion fautive, que la société ARO, qui était le propriétaire du bâtiment et qui disposait d'un service de maintenance de son bien, connaissait l'état de grande vétusté de la couverture, dont les importantes fuites de 2008 n'étaient qu'une des conséquences manifestes, et qu'ayant fait intervenir l'entreprise Cometil pour de simples réparations, elle ne pouvait prétendre que son attention aurait dû être attirée sur la nécessité de faire davantage de travaux, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire que la faute invoquée par la société ARO n'était pas démontrée et a légalement justifié sa décision
». 
 
Attention : l’exclusion de la responsabilité décennale n’est pas à généraliser à tous les travaux de réparation sur un ouvrage existant. Il s’agit d’une appréciation factuelle de l’ampleur des prestations. Des travaux plus importants auraient pu être couverts par la garantie décennale de l’entreprise (par exemple : Cass. Civ. III, 9 novembre 1994, n°92-20.804 pour des travaux de réparation d’une toiture ou encore Cass. Civ. III, 4 avril 2013, n°11-25.198 pour des travaux de restauration de la façade destinés à maintenir l’étanchéité de l’immeuble). 
 
Cass. Civ. III, 28 février 2018, n°17-13.478 

ASSURANCE DOMMAGES-OUVRAGE, DELAI DE DECLARATION 

04/06/2018 - Si l’assuré peut déclarer un sinistre dans les 2 ans suivant l’expiration de la garantie décennale, cela ne le dispense pas de respecter l’obligation de diligence que sanctionne l’article L. 121-12 du Code des assurances, le retard apporté dans les déclarations de sinistres privant l’assureur dommages-ouvrage d’exercer son recours subrogatoire contre les constructeurs.

Pour assurer les travaux d'extension d'un bâtiment de stockage, un maître d'ouvrage, crédit-preneur, avait souscrit une police dommages-ouvrage auprès de la société AXA FRANCE IARD. La réception des travaux avait été prononcée le 25 octobre 2001. Se plaignant de désordres affectant le dallage de l'extension, ce maître d'ouvrage, et la société Natiocrédimurs, crédit-bailleur, avaient déclaré, le 13 juillet 2011, un sinistre à l'assureur dommages-ouvrage. Après expertise, ce dernier avait notifié le 13 septembre 2011 un refus de garantie. Une expertise judiciaire avait été ordonnée. Alors que les opérations d'expertise judiciaire étaient en cours, le maître d'ouvrage et la Société Natiocrédimurs avaient adressé deux déclarations de sinistres à l'assureur dommages-ouvrage, les 12 août et 28 août 2013, sur la base de rapports d'audit complémentaires établis respectivement les 15 et 19 septembre 2011. La société AXA FRANCE IARD avait notifié, le 21 août 2013, pour les désordres dénoncés le 12 août, et, le 12 septembre 2013, pour ceux dénoncés le 28 août, un refus de garantie fondé sur le caractère tardif des déclarations effectuées après l'expiration du délai décennal, ce qui rendait la subrogation impossible.

Ce maître d'ouvrage et la Société Natiocrédimurs avaient assigné la société AXA FRANCE IARD en paiement et s'é&taient vus débouyter en cause d'appel, par un arrêt de la Cour de Paris du 27 septembre 2016
 
Attendu que les sociétés Dilisco et Natiocrédimurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes. Saisie d'un pourvoi qu'elle a rejeté, la Cour de cassation a ainsi statué :

« Mais attendu qu'ayant retenu exactement que le fait que les sociétés Dilisco et Natiocrédimurs pussent utilement déclarer un sinistre dans les deux ans de sa révélation ne les dispensait pas de respecter l'obligation de diligence que sanctionne l'article L. 121-12 du code des assurances et souverainement qu'elles avaient, par leur retard apporté dans leurs déclarations de sinistre, interdit à l'assureur dommages-ouvrage d'exercer un recours à l'encontre des constructeurs et de leurs assureurs, toute action à leur encontre étant forclose faute de dénonciation des désordres dans le délai décennal, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a déduit à bon droit de ces seuls motifs que les demandes des sociétés Dilisco et Natiocrédimurs devaient être rejetées ».

Cass. Civ. III, 8 février 2018, n° 17-10010.

EXTENSION DE LA GARANTIE DECENNALE AU FOURNISSEUR AGISSANT COMME UN MAITRE D’ŒUVRE. 

27/05/2018 - Au visa de l’article 1792, la Cour de cassation retient la responsabilité décennale du fournisseur lorsqu’il prend une part active à la construction en donnant des instructions précises sur le chantier, indépendamment de la notion d’EPERS.

Pour l’édification d’un bâtiment industriel, un maître d’ouvrage avait commandé à la Société LAFARGE un certain type de béton pour la réalisation d’une dalle. Des désordres survenant, il avait assigné cette dernière, qui avait appelé en garantie l’entreprise ayant effectué la pose.  
 
La Cour d’appel avait retenu la responsabilité décennale de la Société LAFARGE en relevant « que la société Lafarge, dont le préposé, présent sur les lieux lors du coulage des deux premières trames, avait donné au poseur des instructions techniques précises, notamment quant à l’inutilité de joints de fractionnement complémentaires, auxquelles le maçon, qui ne connaissait pas les caractéristiques du matériau sophistiqué fourni, s’était conformé, avait ainsi participé activement à la construction dont elle avait assumé la maîtrise d’œuvre ».  
 
La Société LAFARGE a formé un pourvoi en cassation en soutenant, d’une part, que le contrat le liant au maître d’ouvrage était un contrat de vente et non un contrat de louage d’ouvrage, condition nécessaire pour engager sa responsabilité décennale, et que, d’autre part, l’obligation de conseil du vendeur imposant de donner des prescriptions techniques pour la pose du produit ne pouvait être assimilée à un rôle de maître d’œuvre.  
 
Enfin, la Société LAFARGE soutenait que le béton en cause ne pouvait relever de l’article 1792-4 alinéa 1er du Code civil prévoyant la qualification d’élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS).  
 
Par un arrêt de la Troisième chambre civile du 28 février 2018 (n° 17-15962), la Cour de cassation s’est ralliée à l’appréciation des juges du fond en statuant ainsi : 
 
« Mais attendu qu'ayant relevé que la société Lafarge, dont le préposé, présent sur les lieux lors du coulage des deux premières trames, avait donné au poseur des instructions techniques précises, notamment quant à l'inutilité de joints de fractionnement complémentaires, auxquelles le maçon, qui ne connaissait pas les caractéristiques du matériau sophistiqué fourni, s'était conformé, avait ainsi participé activement à la construction dont elle avait assumé la maîtrise d'œuvre, la cour d'appel, qui a pu en déduire que la société Lafarge n'était pas seulement intervenue comme fournisseur du matériau, mais en qualité de constructeur au sens de l'article 1792 du code civil, a légalement justifié sa décision de ce chef ; 
[…] Attendu que la société Lafarge fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de garantie formée à l'encontre de M. Z... ; Mais attendu qu'ayant relevé, procédant à la recherche prétendument omise, que, si le maillage de joints de retrait exigé par les normes techniques n'avait pas été respecté, c'était sur les injonctions précises de la société Lafarge que la faute avait été commise, que la société Lafarge était seule responsable des désordres et que la preuve d'une faute imputable à M. Z... n'était pas rapportée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision
» 
 
Cass. Civ. III, 28 février 2018, n° 17-15962 

ABSENCE D’INTERDEPENDANCE DES POLICES D’ASSURANCE. 

04/04/2018 - L'assignation de l'assureur en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage n'interrompt pas le délai de prescription de l'action engagée pour le même ouvrage contre la même société, prise en sa qualité d'assureur de responsabilité civile décennale.

Une Société X avait édifié dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle, une maison d'habitation réceptionnée le 10 octobre 1996. Deux polices d’assurances avaient été souscrites auprès de la même compagnie d’assurance : une assurance dommages-ouvrage et une assurance constructeur de maison individuelle (responsabilité civile décennale du constructeur), enregistrées sous le même numéro de contrat. 
 
En suite de graves désordres, les maîtres d’ouvrage avaient assigné le constructeur et l’assureur dommages-ouvrage le 9 octobre 2006 aux fins de référé expertise. L’Expert avait conclu qu’en raison de l’importance des désordres, une démolition reconstruction à l’identique était nécessaire. Les propriétaires avaient donc assigné au fond le constructeur et l’assureur, en sa double qualité d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur responsabilité civile décennale du constructeur. 
 
Par un arrêt du 19 janvier 2017, la cour d’appel de Rennes a considéré que l’action engagée contre l’assureur responsabilité civile décennale était prescrite. Le constructeur et les propriétaires se pourvurent en cassation, invoquant notamment le fait que les deux polices avaient été souscrites sous le même numéro et que celles-ci étaient donc unies par un lien d’interdépendance, justifiant l’extension de l’interruption de la prescription de l’action exercée à l’encontre de l’assureur sur le fondement de l’une des polices à l’autre. 
 
Par un arrêt du 29 mars 2018 (3ème Chambre, n° 17-15042), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en rappelant que « bien que référencés sous le même numéro, (les contrats souscrits) étaient distincts par leur objet ».  
 
En effet, l’assurance dommages-ouvrage est une « assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du code civil » (article L. 242-1 du Code des assurances) alors que l’assurance de responsabilité civile décennale vient garantir « toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil » (article L. 241-1).  
 
Ces deux polices ont un objet différent et une nature distincte puisque l’une est une assurance de choses et l’autre une assurance de responsabilité. 
 
La Cour de cassation a également confirmé l’absence d’un lien d’interdépendance entre les deux contrats, déduisant que l’assignation de l’assureur en sa seule qualité d’assureur dommages-ouvrage n’avait point interrompu le délai de prescription de l’action engagée pour le même ouvrage contre l’assureur de responsabilité civile décennale. 
 
Cette solution n’est pas inédite puisque la jurisprudence a déjà admis que la prescription n’est interrompue qu’à l’égard de celui que l’on veut empêcher de prescrire (Cass. Civ. III, 23 févr. 2000, n° 98-18340, qui retient la fin de non-recevoir tirée de l’expiration du délai décennal pour une citation en justice ayant été adressée à l’assureur dommages-ouvrage et non à l’assureur de responsabilité civile décennale) et que l’interruption de la prescription est limitée à la police visée dans l’acte interruptif (Cass. Civ. I, 21 mars 1995, n° 92-13286, refusant d'admettre une indivisibilité entre une police garantissant les dommages matériels et une autre couvrant les pertes d'exploitation). 
 
En outre, une solution similaire a été retenue en matière d’assurance des risques de la construction, notamment dans un arrêt de la troisième chambre civile du 4 juin 2009 (Cass. Civ. III, 4 juin 2009, n° 08-12661) exposant que « la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage, au titre d'une assurance de chose, ne pouvait valoir reconnaissance de responsabilité d'un constructeur même si cet assureur était aussi, pour le même ouvrage, assureur de responsabilité civile de ce constructeur, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action, qui n'avait jamais été interrompue à l'égard de l'assureur décennal avant l'expiration du délai de garantie, était prescrite ». 
 
Certes, un doute pouvait subsister puisqu’un arrêt avait admis que l’interruption pouvait s’étendre d’une action à une autre dès lors qu’elles tendaient à un seul et même but (Cass. Civ. III, 22 septembre 2004, n° 03-10923, ayant jugé que « si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but », pour en déduire que « l'action en responsabilité contractuelle n'était pas prescrite pour avoir été interrompue par l'action engagée initialement sur le fondement de la garantie décennale »). Dans la pratique, il convient de n’omettre personne, surtout en fin de délai décennal. 

CONSEQUENCES DU CLASSEMENT EN ESPACE BOISE. 

28/03/2018 - Le classement en espace boisé fait obstacle à la création d’une servitude de passage prévue par un titre antérieur.

Le 5 janvier 1984, des époux avaient acquis une parcelle à bâtir, par un acte prévoyant également la création d’une servitude de passage constituée par une bande de terre de quatre mètres de largeur sur la partie sud du fonds servant, depuis lors classé en espace boisé et appartenant à un Syndicat de Copropriétaires. 
 
Estimant que le Syndicat ne respectait pas la servitude en réduisant son assiette à trois mètres, ces acquéreurs l’avaient alors assigné, après expertise, pour être autorisés à faire réaliser les travaux préconisés par l’expert (réalisation d’un béton ferraillé de 150 mètres carrés et mise en place d’un système d’écoulement des eaux de pluie nécessaire à la mise en œuvre de la servitude initiale).  
 
Le syndicat avait quant à lui demandé, à titre reconventionnel, que les époux soient condamnés sous astreinte à créer la servitude de passage prévue dans l'acte d’achat du 5 janvier 1984, accédant au fonds dominant par un ancien chemin existant avant même l’acquisition du terrain, dont une partie ne correspondait pas au tracé figurant sur le plan annexé à l’acte constitutif de la servitude. 
 
Un arrêt irrévocable du 5 novembre 2013 a rejeté la demande des époux et accueilli celle du Syndicat. Leur fils, nu-propriétaire de la parcelle, a formé tierce opposition à l'encontre de cet arrêt. 
 
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rejeté la tierce opposition, retenant que « la zone espace boisé classé où se situe désormais le fonds servant ne peut être un obstacle à la mise en œuvre d'une voie d'accès prévue par un titre antérieur à son existence, tandis qu'elle est de nature à empêcher l'élargissement sollicité après son instauration ». 
 
Par un arrêt de la troisième Chambre prononcé le 15 mars 2018 (n° 17-14366), la Cour de cassation a censuré cet arrêt d’appel au visa de l’ancien article L. 130-1 du Code de l’urbanisme, jugeant que « le classement en espace boisé interdit tout changement d'affectation ou tout mode d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création de boisements ». Il importe peu que l’acte créant la servitude soit antérieur à ce classement. La Cour de cassation a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. 
 
Déjà, par un arrêt du 11 janvier 2018 (n° 17-14173), la Cour de cassation avait retenu que « la réalisation d'une voie de circulation [sur une partie d’une parcelle classée en espace boisé], même si elle ne suppose aucune coupe ou abattage d'arbres, constitue un changement d'affectation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création de boisements dans un espace classé ». 

DESORDRE FUTUR CERTAIN ET DELAI D’EPREUVE. 

20/03/2018 - La certitude de la survenance, à court terme, d'un désordre est insuffisante à engager la responsabilité décennale du constructeur et la mobilisation de la garantie de son assureur.

Pour la Cour de Cassation, la certitude de la survenance, à court terme, d'un désordre est insuffisante à engager la responsabilité décennale du constructeur et la mobilisation de la garantie de son assureur. 
 
Pour condamner l'assureur de l'entrepreneur, l’arrêt d'appel avait retenu qu’il suffisait d’une certitude de la survenance, à court terme, d'un désordre de nature décennale, même s'il ne s'était pas réalisé pendant le délai d’épreuve de dix ans. 
 
La Cour de cassation a relevé que l’expert judiciaire n’avait caractérisé aucun dommage existant, au sens de l'article 1792 du code civil dans les termes suivants : 
 
« Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 6 décembre 2016), que, par acte du 11 avril 2005, M. et Mme X... ont acquis une maison d'habitation, dont la société Mousseigt avait réalisé les lots gros œuvre, maçonnerie et assainissement, réceptionnés le 1er octobre 2001 ; qu'invoquant l'existence de désordres affectant le réseau d'assainissement, M. et Mme X... ont assigné la société Mousseigt et son assureur, la société AXA FRANCE, en indemnisation de leurs préjudices ; 
 
Attendu que, pour condamner la société AXA FRANCE à payer à M. et Mme X... la somme de 8 000 euros, l'arrêt retient que la circonstance que l'expert a affirmé la certitude de la survenance, à court terme, d'un désordre est suffisante à engager la responsabilité décennale du constructeur et la mobilisation de la garantie de son assureur, dès lors que ce dommage, futur, ne peut être considéré comme hypothétique et qu'il a été identifié, dans ses causes, dans le délai décennal d'épreuve, même s'il ne s'est pas réalisé pendant celui-ci ; 
 
Qu'en statuant ainsi, tout en constatant qu'à la date de la réunion d'expertise du 3 octobre 2011, il n'existait pas de désordre, l'écoulement des eaux dans les réseaux étant satisfaisant, qu'au jour du dépôt du rapport définitif, il n'apparaissait aucun désordre et que l'expert judiciaire n'avait caractérisé aucun dommage existant, au sens de l'article 1792 du code civil, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé
». 
 
Cass. Civ. III, 28 février 2018, n° 17-12460

AGENT IMMOBILIER PRIVE DE SA COMMISSION. 

14/02/2018 - Evincer l’agent immobilier n’est pas constitutif d'une faute ... s’il ne prend pas quelques précautions.

Le 13 novembre 2009, les époux X... avaient donné mandat (non exclusif) à un agent immobilier de vendre leur maison au prix de 175 000 € (commission incluse de 10 000 €, à la charge des mandants). Ces derniers s'interdisaient durant douze mois de traiter directement avec un acquéreur présenté par l’agent ou ayant visité les locaux avec lui, sous peine de versement, à titre de clause pénale, d’une indemnité égale à la commission. 
 
Le 27 janvier 2010, l'agent immobilier présentait le bien aux époux Z... qui émettaient immédiatement une offre d'achat écrite, d'un montant de 140 000 €, commission comprise. Les époux X, informés de cette offre, la refusaient. Puis, les époux X... informaient l'agent immobilier avoir vendu directement leur immeuble, le 5 février 2010. 
 
S’apercevant que cette vente avait été consentie aux époux Z..., l'agent immobilier, reprochant aux parties de l'avoir évincé de la transaction pour éluder sa rémunération, faisait assigner les époux X... en paiement de la clause pénale, et les époux Z... en paiement de la même somme à titre de dommages-intérêts sur un fondement délictuel. 
 
Par un arrêt (non publié) prononcé le 11 février 2016, la Cour d’appel de Pau a rejeté les demandes de l’agent immobilier, qui a formé un pourvoi. Il estimait que les acquéreurs (les époux Z...), même s'ils n'étaient pas débiteurs de la commission, lui avaient fait perdre celle-ci alors qu’il les avait mis en relation avec les vendeurs (les époux X...) dont il avait mandat. Il ressort de l’exposé des faits que les acquéreurs, après avoir visité l'immeuble par l'intermédiaire de l'agent immobilier, avaient conclu directement l'achat de la maison avec les vendeurs en leur cachant qu'ils avaient auparavant pris contact avec cet agent immobilier ayant mandat de vente des vendeurs. A noter que l’agent immobilier s’était ensuite désisté de son pourvoi à l’encontre de ses mandants, les époux X... 
 
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi aux termes des attendus suivants : 
 
« Mais attendu qu'après avoir retenu qu'aucune faute ne peut être imputée aux mandants qui ignoraient, lorsqu'ils ont conclu l'acte de vente, qu'ils contractaient avec des acquéreurs ayant visité les locaux et formulé une première offre d'achat par l'entremise de l'agent immobilier, l'arrêt écarte l'existence d'une collusion entre les parties à la vente et énonce que, le seul fait d'agir dans le sens exclusif de ses propres intérêts ne suffisant pas à caractériser une faute ou une fraude aux droits d'un tiers, rien n'interdisait aux acquéreurs d'entrer directement en contact avec les mandants pour leur proposer une nouvelle offre, serait-ce dans le but de payer un prix moindre, notamment du fait de l'absence de commission d'agence ; que la cour d'appel a pu en déduire que la responsabilité délictuelle des acquéreurs n'était pas engagée ».
 
 
On croit comprendre, au travers de ces attendus, que l’agent immobilier n’avait pas totalement informé les époux X..., notamment de l’identité des époux Z..., lorsqu’il les avait avisés de la première offre. Il aurait dû faire signer un bon de visite aux époux Z... et en transmettre copie aux époux X... en même temps qu’il les avisait de l’offre, leur fermant ainsi l’argument de l’ignorance. Il ne faut donc pas déduire une règle générale de cet arrêt. 
 
Cass. Civ. I, 6 décembre 2017, n° 16-15249 

TRAVAUX DE RAVALEMENT A LA CHARGE DU BAILLEUR.. 

02/02/2018 - En l’absence de clause contractuelle expresse, les travaux de ravalement ordonnés par l’Administration demeurent à la charge du bailleur.

Par principe, les travaux imposés par l’Administration sont à la charge du bailleur en vertu des articles 1719 2° et 1720 du Code civil, le bailleur étant tenu - sauf stipulation contractuelle expresse contraire - à la fois « de délivrer au preneur la chose louée » et « d’entretenir la chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ». 
 
Dans l’espèce jugée par la Cour de cassation le 5 octobre 2017, le bail prévoyait expressément que « le ravalement des façades de l’immeuble reste à la charge de la partie preneuse ». A la suite d’une injonction de la Mairie de Paris de procéder au ravalement de l’immeuble, les bailleurs avaient mis en demeure leur locataire de réaliser les travaux demandés. Devant le refus de ce dernier, ils l’avaient fait assigner. 
 
Les juges du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris avaient considéré que les travaux de ravalement incombaient au preneur au motif que « c’est bien parce que ceux-ci [les travaux de ravalement] n’avaient pas été normalement effectués, en temps utile, par le preneur qu’ils étaient devenus indispensables, de sorte que l’administration a dû intervenir pour formuler une injonction. » 
 
La Cour d’appel n’avait pas validé ce raisonnement et elle avait infirmé ce jugement aux motifs que « nonobstant la clause du bail faisant supporter par le preneur la charge des travaux de ravalement des façades de l’immeuble, ces travaux incombent au bailleur dès lors qu’ils ont été prescrits par l’autorité administrative » et qu’aucune stipulation du bail ne mettait expressément à la charge du locataire les travaux prescrits par les autorités administratives.  
 
La Cour de cassation, a rejeté le pourvoi formé par le bailleur contre cet arrêt en retenant que si le bail mettait à la charge du preneur les travaux de ravalement, il n’en allait pas de même des travaux prescrits par l’autorité administrative, comme en l’espèce. Ce faisant, la Cour de cassation a statué conformément à sa jurisprudence antérieure. 
 
« Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit que les travaux prescrits par l'autorité administrative sont à la charge du bailleur sauf stipulation expresse contraire et relevé que le bail imposait seulement au preneur, parmi les travaux à sa charge, le ravalement des façades de l'immeuble, la cour d'appel en a exactement déduit que les bailleurs ne pouvaient pas invoquer un manquement de la locataire à ses obligations et que les travaux de ravalement imposés par la Mairie de Paris devaient être supportés par les consorts X... ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ». 
 
Cass. 3e civ., 5 octobre 2017, n°16-11.470

CONTROLE ADMINISTRATIF DES REFUS DE L'ANAH. 

29/01/2018 - Les refus de l'ANAH peuvent être déférés à la juridiction administrative. Mais le Conseil d'Etat juge l'affaire à l'aune de l'erreur manifeste d'appréciation.

L’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH) est un établissement public placé sous la tutelle des ministères en charge de la Cohésion des territoires, de l’Action et des Comptes publics. Sa mission est d’améliorer le parc de logements privés existants, en accorde des aides financières pour travaux sous conditions à des propriétaires occupants, bailleurs et copropriétés présumés en difficulté. 
 
Elle est partenaire des collectivités territoriales pour des opérations programmées (Opah). Et opérateur de l’Etat dans la mise en œuvre de plans nationaux. Les axes d’intervention sont la lutte contre l’habitat indigne et très dégradé, le traitement des copropriétés en difficulté, la lutte contre la précarité et l’adaptation du logement aux besoins des personnes âgées ou handicapées.

Une SCI qui s'était déjà vu allouer des aides à hauteur de 180 847 €, estimant insuffisant le taux de subvention retenu pour sept des logements détenus, et contestant le refus d'accorder le bénéfice de « l'éco-prime », avait formé un recours hiérarchique, puis déféré le rejet au Tribunal administratif de Pau, en demandant la condamnation de l'ANAH à lui verser une somme de 317 023.89 € en réparation du préjudice subi. 
 
En cause d’appel, la Cour Administrative d’appel de Bordeaux avait confirmé ce jugement rejetant l’éco-prime, mais l’avait infirmé, concernant le taux de subvention, tout en condamnant l'ANAH à verser à la SCI une somme de 16 000 € correspondant à la réparation du préjudice subi du fait du refus de versement de l'éco-prime. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat a ainsi statué, par un arrêt du 19 janvier 2018 : 
 
« Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'attribution de " l'éco-prime " prévue par la délibération du 3 juillet 2008 citée ci-dessus ne constitue pas un droit pour les personnes qui remplissent les conditions définies par cette délibération ; que, lorsque ces conditions sont remplies, il appartient à l'Agence de décider d'attribuer ou non la subvention, dans la limite de ses ressources budgétaires, en tenant compte, en application de l'article 11 de son règlement général, de l'intérêt du projet sur le plan économique, social, environnemental et technique ainsi que de l'intérêt des autres projets pour lesquels la même subvention a été sollicitée ». 
 
« Considérant qu'en refusant d'attribuer à la SCI D... le bénéfice de l'éco-prime en raison de ses ressources budgétaires limitées et de l'importance du concours financier déjà apporté au projet immobilier de la société, l'ANAH n'a pas commis d'erreur de droit dans l'application des dispositions de la délibération du 3 juillet 2008 de son conseil d'administration ... et n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'il suit de là que la SCI D... et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que ce refus serait entaché d'illégalité et à demander pour ce motif que l'ANAH soit condamnée à réparer le préjudice qu'il leur aurait causé ».

CE, 19 janvier 2018, n° 403470, publié au Lebon.