DES REPARATIONS INSUFFISANTES PEUVENT ENGAGER LA RESPONSABLITE DECENNALE SUR L’ENSEMBLE DES DESORDRES.

09/09/2021 - Ayant relevé que des travaux de réparation n’avaient pas permis de remédier aux désordres initiaux, mais les avaient aggravés et à l’origine de nouveaux désordres, c’est à bon droit que la responsabilité de cette société est engagée pour l’ensemble des désordres de nature décennale.

Les propriétaires d’une maison, achevée en 1998 par un constructeur depuis lors en liquidation, déploraient des fissurations et un affaissement du sol. Ils confièrent des travaux de reprise à la Société Temsol, assurée auprès de la Société SMA. En 2008, compte tenu de la persistance des désordres, la Société Uretek France, alors assurée auprès de la Société Aviva Assurances, réalisa des injections de résine expansive, qui ne remédièrent pas davantage aux dommages. 
 
Après expertise, ces propriétaires assignèrent la Société Uretek et son assureur en indemnisation sur le fondement de la garantie décennale. La Cour d’appel de Limoges, par son arrêt du 26 septembre 2019, jugea que la société Aviva devait sa garantie à son assurée, la Société Uretek, au titre des dommages matériels, dans les termes de la police d'assurance souscrite pour la couverture des dommages de nature décennale, avec application de la franchise contractuelle. 
 
Sur pourvoi de la Société Aviva, la Cour de cassation jugea ainsi : 
 
« La cour d'appel a constaté, d'une part, que la société Uretek était intervenue en 2008 pour effectuer deux séries de travaux de reprise destinés à remédier au manque de stabilité de l'ouvrage et ayant consisté en la stabilisation et le relevage du dallage et en des injections sous fondations, d'autre part, que ces travaux avaient été réceptionnés les 25 octobre et 9 décembre 2008. 
 
Elle a relevé que, selon l'expert, ces travaux avaient été inopérants dès lors que la stabilité du dallage n'était pas acquise et que les injections réalisées n'avaient apporté aucun remède, les fissures demeurant évolutives et la stabilité des murs périphériques n'étant pas obtenue, et que la cause de cette défaillance tenait à la faible profondeur des injections réalisées par la société Ureteck et à un maillage insuffisant, aucune conception générale de réparation n'ayant été élaborée. 
 
Elle a également relevé que la reprise infructueuse réalisée par la société Uretek tendait à remédier à des désordres compromettant la solidité de l'ouvrage puisqu'ils en affectaient la stabilité et étaient à l'origine de fissurations évolutives et que l'expert précisait à ce sujet que certaines fissures présentaient des aggravations et que de nouvelles fissurations étaient apparues. 
 
Ayant retenu, par une décision motivée, que les désordres initiaux n'étaient pas de nature à constituer une cause étrangère de nature à exonérer la société Ureteck dont la garantie décennale se trouvait engagée en raison de ses travaux de réparation qui, non seulement n'avaient pas permis de remédier aux désordres initiaux, mais avaient aggravé ceux-ci et étaient à l'origine de l'apparition de nouveaux désordres, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la responsabilité de la société Ureteck était engagée pour l'ensemble des désordres de nature décennale. Le moyen n'est donc pas fondé
». 
 
Cass. Civ. III, 4 mars 2021, n° 19-25702, publié au Bulletin.


CONDITIONS D’OPPOSABILITE DES NORMES TECHNIQUES (DTU)


28/08/2021 - En dehors de tout désordre à caractère décennal, les normes techniques ne sont opposables qu’au cas où elles ont été légalement ou contractuellement prévues.

Un maître d’ouvrage entreprit la construction d'une plate-forme logistique et en confia les travaux à la Société GSE, qui sous-traita le lot charpente métallique à la Société BAUDIN CHATEAUNEUF. La Société VERITAS intervint en qualité de contrôleur technique. 
 
Après la réception de l'ouvrage, à la suite d'un orage, une partie de la toiture d'un des entrepôts s'affaissa. Le nouveau propriétaire de l'immeuble, une Société L. demanda l'indemnisation de ses préjudices résultant, notamment, de la non-conformité des toitures. 
 
Par arrêt du 5 février 2020, la Cour d’appel de Paris condamna la Société BAUDIN CHATEAUNEUF in solidum avec la Société GSE et la Société VERITAS, sur le fondement de leur responsabilité civile de droit commun, à payer à ladite Société L. diverses sommes. 
 
La Cour d'appel avait retenu la responsabilité de la Société BAUDIN CHATEAUNEUF, sous-traitant de la Société GSE, en énonçant qu'elle était tenue de « livrer un ouvrage conforme aux prescriptions contractuelles et aux règles de l'art et DTU applicables en la matière » car « l'ensemble des DTU font partie intégrante de la catégorie plus large des règles de l'art, ensemble des règles et techniques professionnelles validées par l'expérience et admises par les professionnels, opposables à ces derniers ». 
 
Saisie d’un pourvoi, au visa des articles 1134, alinéa 1er, 1147 ancien, et 1382 devenu 1240, du Code civil, la Cour de cassation considéra qu’il résulte de la combinaison de ces textes qu'en l'absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur : 
 
« Pour condamner l'entrepreneur et son sous-traitant à indemniser le propriétaire de l'ouvrage du coût de la mise en conformité des toitures avec les prescriptions du document technique unifié (DTU) 43.3, l'arrêt énonce que, quand bien même le marché ne fait pas référence à ce document, celui-ci et l'ensemble des DTU font partie intégrante de la catégorie plus large des règles de l'art, ensemble des règles et techniques professionnelles validées par l'expérience et admises par les professionnels, opposables à ceux-ci, et que la responsabilité des constructeurs et du contrôleur peut donc être retenue puisque la charpente de l'entrepôt livré s'est révélée non-conforme à un DTU. 
 
En statuant ainsi, après avoir relevé que le DTU 43.3 n'était pas mentionné dans le marché et n'avait pas été contractualisé et que la non-conformité n'avait été à l'origine d'aucun désordre, la cour d'appel a violé les textes susvisés
». 
 
Cass. Civ. III, 10 juin 2021, n° 20-15277 - 20-15.349 - 20-17.033, Publié au bulletin
 
En l’absence de désordre, la seule non-conformité aux DTU n’est pas de nature à engager la responsabilité contractuelle : les DTU étant dépourvus de valeur réglementaire, nul ne peut être tenu de les respecter sans y avoir consenti. Pour la Cour de cassation, les normes techniques ne doivent être respectées par les entreprises que lorsqu’elles ont été intégrées aux marchés. La solution n’est cependant pas nouvelle : 
 
« Attendu que pour accueillir cette demande, le jugement retient que le degré de pente de la toiture n'est pas conforme à la norme applicable pour ce type de construction, la pente minimale imposée par le Document technique unifié (DTU) en vigueur n'étant pas respectée, et que l'entrepreneur n'a pas satisfait à ses obligations contractuelles ; 
 
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, en l'absence de désordre constaté, si le marché conclu était contractuellement soumis au DTU invoqué, le Tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision
» (Cass. Civ. III, 27 févr. 2011, n° 99-18114)
 
En revanche, la Cour de cassation considère de longue date que le respect des DTU n’est pas de nature à exonérer le constructeur lorsque sa responsabilité est recherchée sur le fondement des garanties légales (Cass. Civ. III, 30 nov. 1983, n° 82-13249, Bull. civ. III, n° 253)


DATE DE LA RECEPTION TACITE ET DATE DU REGLEMENT DU SOLDE

08/06/2021 - En l’absence de procès-verbal de réception, il est préférable de payer par virement bancaire, de façon à éviter l’encaissement tardif d’un chèque dont il n’est pas toujours possible de prouver la date de l’envoi (sauf envoi recommandé). Illustration :

La réception tacite, en l’absence de procès-verbal de réception, coure à compter de l’encaissement du chèque et non de son envoi (si le maitre d’ouvrage ne peut rapporter preuve de l’envoi). La Cour de cassation l’a rappelé par un arrêt du 1er avril 2021 (Cass. Civ. III, n° 19-25563). 

Dans cette espèce, à la suite de travaux, des désordres étaient survenus tandis que le constructeur était placé en liquidation judiciaire. En l’absence d’une réception de travaux constatée par procès-verbal, la question se posait de l’existence et de la date d’une réception tacite. 
 
Les parties s'accordaient sur l'existence d'une réception tacite, découlant du paiement du solde des travaux et de la prise de possession de l'ouvrage, mais l’assureur du constructeur soutenait que le paiement du solde était intervenu postérieurement à l'apparition des désordres, de sorte qu’il était fondé à décliner sa garantie. 
 
En effet, le maître d’ouvrage invoquait la date portée sur le chèque (13 juillet 2006), et l’assureur, la date d'encaissement dudit chèque (23 octobre 2006) ; des désordres étant survenus entre ces deux dates. 
 
La Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel, dont l’arrêt lui était déféré, avait « retenu à bon droit que la date de paiement est celle de l'émission du chèque qui correspond à la date à laquelle le tireur s'en est irrévocablement séparé, notamment en le remettant au bénéficiaire ou en l'envoyant par la poste, de sorte qu'il incombait à la société La Maison du treizième (maître d'ouvrage) de prouver qu'elle avait émis le chèque le 13 juillet 2006 ». 
 
Cependant, la Cour de cassation a considéré « que la seule mention manuscrite de la date de règlement au 13 juillet 2006 sur un « tableau récapitulatif des règlements » ne permettait pas d'établir que le chèque avait été remis à cette date et que la société La Maison du treizième ne produisait, par ailleurs, aucun courrier ou avis de réception accompagnant la remise de ce chèque, d'un montant important, qui eût permis de dater cette remise ». 
 
Elle en a déduit que « la date de règlement était celle de l'encaissement du chèque, soit le 23 octobre 2006, qui devait être considérée comme étant la date à laquelle avait eu lieu la réception tacite de l'ouvrage ». 
 
Cass. Civ. III, n° 19-25563, publié au Bulletin 


IMPORTANT ARRET RELATIF A LA RECHERCHE DE RESPONSABILITE PENALE DU MAITRE D'OUVRAGE

30/03/2021 - En cas d'accident du travail, la carence du Coordonateur en matière d'hygiène et de sécurité n'entraîne pas la responsabilité pénale du maître d'ouvrage ou de son délégué.

Le 19 janvier 2007, la Société E, maître d'ouvrage délégué, avait conclu une mission de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé avec le Bureau Veritas pour un chantier de restructuration d'un centre commercial. 
 
Le 13 février 2007, un accident du travail était survenu sur ce chantier. L'enquête diligentée mit en évidence que ni l'entrepreneur principal ni les deux sous-traitants n'avaient reçu communication du plan général de coordination établi par le Bureau Veritas et n'avaient rédigé de plan particulier de sécurité et de protection de la santé. 
 
La Société E fut citée devant le Tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires ayant causé une incapacité de travail inférieure à trois mois par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce notamment « en ne s'assurant pas de la mise en place des mesures de prévention définies par le plan général de coordination pour la sécurité des travailleurs, ainsi que [de] leur application par les entreprises intervenantes sur le chantier ». 
 
Les juges du premier degré déclarèrent la Société E coupable dans les termes de la prévention. La Société E releva appel de cette décision. La Chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Douai, par un arrêt du 17 décembre 2019 maintint la Société E dans les liens de la prévention et la condamna à une amende de 20 000 €. 
 
La Société E forma pourvoi et la Cour de cassation, par un arrêt de la Chambre criminelle du 18 mars 2021 a ainsi statué : 
 
« Pour déclarer la Société E coupable de ce délit, l'arrêt relève qu'il résulte des auditions des responsables des sociétés présentes sur le chantier que le plan général de coordination ne leur a pas été communiqué. 
 
Les juges énoncent qu'en ne vérifiant pas la transmission des règles de sécurité définies dans le plan général de coordination à l'ensemble des entreprises intervenantes, la société prévenue a violé une obligation légale particulière en matière de sécurité qui lui était imposée par les dispositions de l'article R. 238-18, 3°, b, du code du travail, applicable à la date des faits, repris sous les articles R. 4532-11 et R. 4532-13 dudit code. 
 
Ils ajoutent que la signature du contrat de coordination conclu avec le Bureau Veritas ne décharge pas la société maître d'ouvrage de sa responsabilité de s'assurer de la mise en place et du respect des mesures de sécurité des travailleurs. 
 
Ils énoncent encore que la Société E s'est désintéressée de la bonne exécution du contrat de coordination et qu'un de ses représentants, présent sur le chantier, a confié la vérification du respect des normes de sécurité aux agents de sécurité du centre commercial non rémunérés pour cette mission et non concernés par ce chantier. 
 
Ils en déduisent qu'en ne s'assurant pas de la transmission du plan général de coordination qui fixait des obligations en matière de démolition, qui n'ont pas été mises en œuvre et qui auraient permis d'éviter l'accident, la société prévenue a violé, de manière manifestement délibérée, l'obligation particulière de sécurité définie à l'article R.238-18 du code du travail. 
 
En se déterminant ainsi, la Cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus rappelé. 
 
En effet, si l'article R. 238-18, 3°, b), devenu l'article R. 4532-11, alinéa 2, du code du travail, dispose que le coordonnateur exerce sa mission sous la responsabilité du maître d'ouvrage, il n'édicte pas d'obligation particulière de sécurité ou de prudence à la charge de ce dernier, au sens de l'article 222-20 du code pénal
 
Il s'ensuit que la cassation est encourue. […] Par ces motifs, casse et annule l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 17 décembre 2019
». 
 
Cass Crim. 16 mars 2021, n° 20-81316, publié au Bulletin
 

DEVOIR DE CONSEIL DU CONSTRUCTEUR A PROPOS DU RACCORDEMENT DE LA PARCELLE

08/03/2021 - Le Constructeur de maison individuelle doit être vigilant sur l’estimation du raccordement au réseau public que s’était réservé le maître d’ouvrage.

Des maîtres d’ouvrage, les consorts X, avaient conclu avec un Constructeur, une Société Y, le 30 novembre 2012, un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan comprenant une condition suspensive d’obtention de la garantie de livraison dans un délai de douze mois à compter de la signature de l’acte. 
 
Le constructeur n’avait pu obtenir cette garantie de livraison, et les maîtres d’ouvrage avaient tiré profit de ce refus, l’imputant au Constructeur, pour réclamer une indemnisation supplémentaire à ce qui avait été contractuellement convenu au titre du raccordement de la construction au réseau public, qu’ils s’étaient pourtant réservé (chiffré à 6 000 € sur la notice descriptive), qui se révéla d’un montant supérieur en raison de l’existence d’une servitude apparue sur la parcelle (inscrite sur la parcelle le jour de la signature de l’acte authentique, soit neuf mois après la signature du contrat de construction). 
 
Déboutés par la Cour d’appel d’Amiens (arrêt du 2 avril 2019), qui rejeta leurs demandes de dommages et intérêts, les consorts X formèrent un pourvoi en cassation. 
 
La Cour d’appel d’Amiens avait en effet estimé qu’il ne pouvait être reproché au Constructeur de ne pas avoir pris en compte la bonne configuration de la parcelle, dès lors qu’il n’était pas informé de la servitude qui devait servir au passage des canalisations vers le réseau public, laquelle n’avait été créée que près de neuf mois plus tard. 
 
Au visa de l’article 1147 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et des articles L. 231-2 et R. 231-4 du Code de la construction et de l’habitation), la Cour de cassation a cassé cet arrêt en disposant : 
 
« En statuant ainsi, alors qu’il incombe au constructeur de maison individuelle avec fourniture du plan de s’assurer de la nature et de l’importance des travaux nécessaires au raccordement de la construction aux réseaux publics, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». 
 
Cass. Civ. III, 11 février 2021, n° 19-22943, Publié au bulletin 


RECOURS AMIABLE OBLIGE - ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

08/02/2021 - Intéressant arrêt de la Cour de cassation en date du 26 novembre 2020 soulignant que :

D’une part, le pourvoi d’un Architecte faisait grief à l’arrêt déféré d’avoir déclaré la demande d’un maître d’ouvrage recevable au motif que le contrat qu’il avait signé avec ce dernier instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge
 
La Cour de cassation a ainsi répondu : « La clause suivant laquelle, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le Conseil régional de l'Ordre des Architectes dont relève l'Architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire, qui institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, n'est pas applicable lorsque la demande est fondée, même à titre subsidiaire, sur l'article 1792 du code civil ».  
 
Les maîtres d’ouvrage ayant visé à titre subsidiaire l’article 1792 du Code civil consacrant la responsabilité décennale, l’arrêt déféré a été justifié en ce qu’il avait déclaré les maîtres d’ouvrage recevables. 
 
D’autre part, en présence de désordres d’inondation affectant le sous-sol de l’immeuble, les maîtres d’ouvrage avaient obtenu une indemnisation correspondant à la réalisation d’un cuvelage se révélant indispensable pour remédier aux dommages. 
 
L’Architecte, condamné in solidum avec le constructeur, avait soutenu que « les dommages-intérêts doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit », invoquant ainsi la notion d'enrichissement sans cause. 
 
L'Expert judiciaire (en amont de cette procédure) avait en effet conclu que le cuvelage, prévu en option dans le devis descriptif quantitatif rédigé par l’Architecte n’avait pas été prévu dans le marché de travaux du lot gros-œuvre, et non réalisé, quoique indispensable à l'étanchéité du sous-sol de la maison. 
 
La Cour de cassation a écarté le moyen en retenant que la Cour d’appel « a pu en déduire que la notion d'enrichissement sans cause ne trouvait pas à s'appliquer, [les maîtres d’ouvrage] ayant droit à l'indemnisation totale de leurs préjudices par la remise en état de l'ouvrage afin qu'il soit exempt de vice et conforme aux dispositions contractuelles ». 
 
Cass. Civ. III, 26 novembre 2020, n° 18-26402 


RESPONSABILITE DECENNALE ET PRINCIPE DE REPARATION INTEGRALE DU PREJUDICE

21/01/2021 - Le préjudice immatériel, même s’il s’agit d’une perte de loyers, doit être réparé lorsque la responsabilité décennale est encourue.

Malgré l’enfumage auquel certaines compagnies d’assurances se livrent, la responsabilité décennale donne lieu à réparation intégrale du préjudice causé à la victime et s’étend aux dommages immatériels, ce qui peut concerner une perte de loyers.  
 
La Cour de cassation vient à nouveau de le rappeler (Cass. Civ. III, 9 juillet 2020, n° 19-18954) en relevant que, pour calculer le montant des dommages-intérêts dus au titre du préjudice locatif consécutif à un désordre relevant de la garantie décennale, il convient de prendre en compte, non la date de versement des sommes allouées pour réaliser les travaux de reprise, mais
la date d’achèvement de ces travaux avant laquelle l’immeuble n’est pas disponible à la location
 
Dans cette espèce, une Cour d’Appel (CA Toulouse, Ch. I, Section I, 17 décembre 2018) avait accordé à un maître de l’ouvrage une indemnisation au titre de son préjudice locatif jusqu’à la date de paiement de l’indemnité due au titre des travaux de reprise seulement, en relevant que les constructeurs n’ont pas à supporter les aléas du chantier de réfection, limitant ainsi l’indemnisation de son préjudice immatériel. 
 
Cet arrêt a été cassé, sur pourvoi du maître d’ouvrage, par la Cour de cassation qui rappelle qu’en application du principe posé par l’article 1792 du Code civil, les dommages-intérêts doivent permettre la réparation du préjudice subi, sans qu’il en résulte ni perte ni profit pour la victime, laquelle ne peut être privée de
toute réparation de son préjudice immatériel pendant toute la durée des travaux de reprise et jusqu’à l’achèvement de ces travaux
 
Cass. Civ. III, 9 juillet 2020, n° 19-18954 


NECESSITE D'UN DEVIS SIGNE POUR ETRE PAYE

02/11/2020 - La Cour de cassation a récemment rappelé le principe général tiré de l’article 1353 du Code civil à propos de la demande de paiement d’une facture de travaux de bâtiment, sans devis signé préalable.
 
L’article 1353 du Code civil dispose que « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». La Cour de cassation a récemment rappelé cette règle à propos d’un impayé d’une facture de travaux de bâtiment, qui n'avaient fait l'objet d'aucun devis signé.

Des maîtres d’ouvrage avaient confié à une entreprise l’exécution de travaux de terrassement et d’aménagement d’un terrain, sans devis préalable. L’entreprise avait émis trois factures successives, dont l’une était partiellement réglée, laissant un solde débiteur de plus de 15 000 €. Les maîtres d’ouvrage contestaient le solde restant à payer. Ils furent assignés en paiement par l’entreprise et condamnés à régler leur dette par la Cour d’appel saisie des griefs. 
 
Le litige fut porté devant la Cour de cassation, et le débat porta sur la preuve du consentement des maîtres d’ouvrage sur le prix demandé pour de tels travaux. La société exposa que le consentement des maîtres d’ouvrage relevait du simple fait qu’ils n’avaient émis aucune contestation à la réception de la facture litigieuse, qu’ils l’avaient au contraire partiellement réglée, dénotant un commencement de preuve par écrit. En réplique, les maîtres d’ouvrage mirent en évidence l’absence de devis signé démontrant le consentement du prix réclamé par l’entreprise. 
 
La Cour de cassation a fait droit à l’argumentation des maîtres d’ouvrage, précisant que « la preuve de l’acceptation des travaux réalisés ne fait pas la preuve du consentement au prix, lequel ne peut résulter du seul silence gardé à réception d’une facture ni du paiement partiel de travaux dont la facturation litigieuse ne constitue pas la suite nécessaire ». 
 
La Cour de cassation rappelle ainsi le formalisme strict qui pèse sur les Professionnels de la Construction et la nécessité de justifier de devis signés permettant d’établir l’acceptation du prix par les cocontractants. Autrement dit, l’acceptation des travaux réalisés reste indépendante de celle relative au prix de leur exécution.

Cass. Civ. III, 9 juillet 2020, n°19-16.371


CAS DE NULLITE DU CONTRAT DE CONSTRUCTION DE MAISON INDIVIDUELLE

29/09/2020 - Le jour de la conclusion du CCMI, le maître d’ouvrage doit bénéficier, sur le terrain concerné, d’un titre de propriété, de droits réels permettant de construire ou d’une promesse de vente.
 
Cette exigence résulte des articles L. 231-2 et L. 231-4 et R. 231-2 du Code de la construction et de l’habitation. Viole ces textes une Cour d’appel qui, pour écarter la nullité d’un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan, retient que ce contrat précise à la rubrique « Titre de propriété » qu’une donation était en cours et que cette donation avait effectivement été consentie dans le délai contractuellement prévu pour la levée des conditions suspensives. 
 
C’est ce qu’a retenu un arrêt de la Cour de cassation, dans les termes suivants :  
 
« Vu les articles L. 231-2, L. 231-4 et R. 231-2 du code de la construction et de l’habitation : 
 
4. Il résulte de ces textes, d’une part, que, le jour de la conclusion du contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan, le maître de l’ouvrage doit bénéficier, sur le terrain concerné, d’un titre de propriété, de droits réels permettant de construire, d’autre part, que le contrat peut être conclu sous la condition suspensive de l’acquisition du terrain ou des droits réels permettant de construire si le maître de l’ouvrage bénéficie d’une promesse de vente. 
 
5. Pour écarter le moyen tiré de la nullité du contrat, l’arrêt retient que l’article L. 231-4.I du code de la construction et de l’habitation admet qu’à défaut de titre de propriété, le contrat peut être conclu sous la condition suspensive d’acquisition de la propriété de la parcelle concernée et, qu’en l’espèce, s’agissant de la désignation du terrain destiné à l’implantation de la construction et de la mention du titre de propriété du maître d’ouvrage ou de ses droits réels lui permettant de construire, le contrat mentionne l’adresse du terrain, ses coordonnées cadastrales et précise, à la rubrique "titre de propriété", qu’une donation est en cours et que cette donation a effectivement été consentie par acte authentique du 22 juillet 2011, dans le délai de quatre mois contractuellement prévu pour la levée des conditions suspensives. 
 
6. En statuant ainsi, alors qu’au jour de la conclusion du contrat, Mme X... ne disposait ni d’un titre de propriété ni de droits réels ni d’une promesse de vente, la cour d’appel a violé les textes susvisés
». 
 
Cass. Civ. III, 14 mai 2020, n° 18-21.281, Publié au bulletin


APPELS EN MATIERE ADMINISTRATIVE

14/09/2020 - Appels devant la CAA de VERSAILLES.
 
Par décret n° 2020-516 du 5 mai 2020, les ressorts des Cours Administratives d'Appel de Nantes, Paris et Versailles ont été modifiés. L'une des conséquences de cette réforme est qu'à compter du 1er septembre 2020, la compétence d'appel sur les jugements et ordonnances rendues par le tribunal administratif d'Orléans sera exercée par la Cour Administrative d'Appel de Versailles, et non plus par celle de Nantes. L’on ne peut que se réjouir de cette meilleure proximité géographique.


QUELS DELAIS SONT APPLICABLES AUX ASSUREURS ?

03/09/2020 - Pour la Cour de cassation, l'assureur ne peut se prévaloir de la forclusion biennale qu'à certaines conditions.
 
Selon l’article 2219 du Code civil, la prescription est définie « comme un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ». Depuis la réforme de 2008, le délai de la prescription de droit commun est désormais de cinq ans, avec toutefois de nombreuses exceptions (notamment dans le domaine de la Construction et de l’Assurance. 

Ainsi, l’article L114-1 du Code des Assurances dispose que « toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par un délai de deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ». En contrepartie de ce délai plus bref, la Loi a prévu des modalités simples d’interruption de la prescription. Autrement dit, si plus de deux années se sont écoulées depuis le jour où le demandeur était en mesure de faire valoir son droit à garantie, l’assureur peut opposer la prescription biennale. 
 
Cependant, pour se prévaloir de ce délai réduit, il faut qu'au préalable, la police d’assurance ait rappelé les règles relatives à la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance (Article R112-1 du Code des assurances). 
 
Or, depuis 2005, pour la Cour de cassation, l’inobservation de ce formalisme rend inopposable à l’assuré le délai de la prescription biennale (Civ. II, 2 juin 2005, n° 03-11871). 
 
La Cour de Cassation a accentué ce formalisme en imposant aux assureurs d’indiquer non seulement le délai de prescription mais également les différents points de départ de la prescription (Civ. II, 28 avril 2011, n° 10-16403). La Cour de cassation impose même la mention des causes d’interruption de la prescription prévues par l’article L114-2 du Code des Assurances (Civ. III, 16 novembre 2011, n° 10-25246). De même, elle exige que la police fasse non seulement le rappel des causes d’interruption prévues à l’article L114-2 du Code des Assurances mais également des causes ordinaires d’interruption de la prescription (Civ. II, 18 avril 2013, n° 12-19519). 
 
Il s'en déduit que les polices d’assurance antérieures à avril 2013 ne sont probablement pas en conformité avec ces arrêts. Cette jurisprudence soulève une autre question : si la prescription biennale est inopposable, quel sera le délai applicable en matière de prescription ? 
 
Pour la Cour de Cassation, « l’assureur qui, n’ayant pas respecté les dispositions de l’article R. 112-1 du Code des assurances, ne peut pas opposer la prescription biennale à son assuré, ne peut pas prétendre à l’application de la prescription de droit commun » (Civ. III, 21 mars 2019, n°17-28021). Autrement dit, si l’assureur n’a pas respecté le formalisme de l’article R112-1 du Code des Assurances, le délai de la prescription ne sera ni de 2 ans ni de 5 ans (qui est le délai de droit commun). 
 
La question reste ouverte car les délais de 10 ans et de 30 ans contenus dans le Code Civil sont des délais spéciaux déjà clairement définis par la Loi et qui ne peuvent s’appliquer. La position de la Cour de Cassation reste attendue sur cette question.



RESPONSABILITE PERSONNELLE D'UN GERANT DE SOCIETE EN LIQUIDATION.

03/08/2020 - Un gérant de société peut être personnellement tenu à garantie en cas d'infraction au régime légal de construction de maison individuelle.
 
Des maîtres d'ouvrage, les époux W, avaient ont entrepris de faire construire une maison individuelle. Ils s'étaient adressés à deux sociétés, X et Y, ayant le même gérant, Monsieur N. Une tierce société était intervenue en qualité de courtier de travaux. 
 
Une quatrième société, à laquelle le dossier de construction avait été communiqué pour vérification par l'organisme prêteur, avait demandé la communication d'un contrat de construction de maison individuelle conclu avec la Société X, puis, après signature de ce contrat, avait informé les maîtres d'ouvrage.de la nécessité de lui réclamer directement le justificatif de la garantie nominative de livraison à prix et délais convenus. 
 
Les travaux commencés, les Sociétés X et Y avaient abandonné le chantier, puis placées en liquidation judiciaire par jugements du 17 février 2011. Les époux W avaient assigné les divers intervenants en indemnisation du préjudice subi en raison de l'inachèvement du chantier.  
 
En cause d'appel, la Cour de Douai avait condamné Monsieur N, in solidum avec la MAF, à payer aux époux W une somme de 23 749.97 € après déduction de la franchise à titre de dommages et intérêts et de le condamner à leur payer la somme de 99 818.37 €. 
 
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi aux termes de la motivation suivante : 
 
« La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a retenu que M. N, qui aurait dû conclure un contrat de construction de maison individuelle, avait entrepris l'exécution des travaux sans avoir obtenu la garantie de livraison prévue à l'article L. 231-6 du Code de la construction et de l'habitation
 
Elle en a exactement déduit que M. N avait commis une faute intentionnelle, constitutive d'une infraction pénale, séparable de ses fonctions sociales et engageant sa responsabilité personnelle. Elle [la Cour d'appel] a ainsi légalement justifié sa décision
.» 
 
Cass. Civ. III, 9 juillet 2020, n° 18-21552