04/07/2017 Nécessité d’établir une aggravation de désordres survenus dans le délai d’épreuve, susceptibles de compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination « dans un délai prévisible ».
La SNCF avait confié en 1996 la construction du viaduc de Cavaillon de la ligne de TGV Méditerranée à un groupement conjoint d'entreprises composé. L'ouvrage était devenu la propriété de l'EP Réseau Ferré de France. Dans les dix ans de la réception, la SNCF avait décelé des défauts sur des appareils d'appui du viaduc. Elle avait sollicité la désignation d'un expert, et saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande au fond tendant, à titre principal, à la condamnation solidaire des sociétés titulaires du marché à remplacer l'intégralité des appareils d'appui du viaduc sur le fondement de la responsabilité décennale ou, subsidiairement, à lui payer la somme de 3 370 432,05 euros TTC en réparation du préjudice subi, ainsi que la somme de 112 708,27 euros TTC correspondant aux frais d'expertise et la somme de 500 266,47 euros TTC correspondant aux travaux et essais réalisés à la demande de l'expert.
Par un jugement du 24 juin 2014, le tribunal administratif de Paris avait rejeté la demande de Réseau Ferré de France. L’EP SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau Ferré de France, s’est pourvu en cassation contre l'arrêt du 26 octobre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Paris avait rejeté son appel contre ce jugement. Le Conseil d’Etat a rendu le 31 mai 2017 un arrêt rappelant la nécessité d’établir une aggravation de désordres survenus dans le délai d’épreuve, susceptibles de compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible :
« Considérant qu'il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure ;
Considérant qu'après avoir relevé que l'expert avait constaté qu'une forte extrusion de plaques de polytétrafluoroéthylène affectait huit des 70 appareils d'appui du viaduc et qu'il existait un risque que ce désordre évolue dans un avenir proche et compromette alors la solidité de l'ouvrage et le rende impropre à sa destination, la cour administrative d'appel de Paris a jugé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'aucun autre élément du dossier ne venait corroborer l'hypothèse d'une aggravation certaine, dans l'avenir, de ces désordres ni celle d'une nécessaire modification des conditions de circulation des trains et que l'établissement public requérant ne faisait notamment état, sur ce point, d'aucune évolution récente de l'état du viaduc ; qu'en en déduisant qu'en l'absence d'évolution prévisible de ces désordres, même à long terme, la responsabilité des constructeurs et celle du fabricant ne pouvaient pas être engagées, la cour n'a pas méconnu les principes rappelés au point précédent ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que SNCF Réseau n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant que celui-ci a rejeté ses conclusions relatives aux désordres liés à l'extrusion des plaques de polytétrafluoroéthylène ».
01/07/2017 Les travaux inefficaces ne sont pas couverts par la garantie décennale de l'entrepreneur, juge la Cour de cassation.
Il n'y a pas de lien entre des travaux de réparation inefficaces et les désordres auxquels ils étaient censés mettre fin, énonce la Cour de cassation. Or, la garantie décennale apportée par tout constructeur d'ouvrage couvre le résultat de son travail et non l'état antérieur de l'immeuble. Il faudrait que cet état ait été aggravé par les travaux, pour que l'assurance décennale puisse être mise en jeu. Lorsque le travail est simplement insuffisant et ne met pas réellement fin aux désordres, il n'est pas garanti.
La loi prévoit que « tout constructeur d'un ouvrage » est responsable pendant dix ans des dommages et des malfaçons, « même résultant d'un vice du sol », qui compromettent sa solidité ou le rendent impropre à l'usage.
Un maçon était chargé de procéder à des « reprises en sous-oeuvre », c'est-à-dire au renforcement des fondations d'un bâtiment, pour mettre un terme à l'apparition de fissures, dues aux mouvements de terrain, qui finissaient par menacer la solidité de l'ensemble. Mais les fissures étaient revenues et le propriétaire exigeait l'intervention de l'assurance décennale.
Ce n'est pas le travail fait qui est la cause du dommage, ont répondu les juges. Ce travail a seulement été inefficace. Il n'y a donc pas de lien entre lui et les fissures, et a fortiori pas de garantie décennale dans ce cas.
« Mais attendu qu'ayant relevé que les fissures avaient pour origine des tassements différentiels des structures de la maison qui avaient perduré, malgré les confortements effectués, et retenu qu'il n'était pas démontré que les travaux préconisés de reprise de désordres préexistants, lesquels avaient été exécutés par la société Cariatide et s'étaient révélés inefficaces, aient été à l'origine des désordres initiaux, ni qu'ils les aient aggravés, la cour d'appel a pu déduire, de ces seuls motifs, qu'en l'absence de lien de causalité entre les travaux de reprise inefficaces et les désordres auxquels ils devaient mettre un terme, leur responsabilité de plein droit n'était pas engagée, de sorte qu'elle a légalement justifié sa décision de ce chef ».
Pour autant, la Cour rejette la demande de remboursement formée par le maître d'ouvrage malchanceux. Travaux inefficaces mais pas inutiles, puisque préconisés par l'Expert. CQFD.
« Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande subsidiaire en remboursement du montant des travaux exécutés ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la reprise partielle par des micropieux complémentaires proposée par la société Cariatide était insuffisante, mais pas inutile, et que l'expert judiciaire avait préconisé de réaliser des micropieux sous l'ensemble de la propriété, la cour d'appel, qui a pu, sans contradiction ni être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, rejeter la demande en remboursement, a légalement justifié sa décision de ce chef ».
28/06/2017 Toute autorisation donnée par le syndicat des copropriétaires, en assemblée générale, à l'un de ses membres, n'est pas irrévocable, et il faut respecter les conditions qu'elle a posées.
Si tout n'est pas scrupuleusement respecté, les copropriétaires peuvent en effet exiger la destruction de ce qui a été fait et la remise dans l'état antérieur, selon un arrêt de la Cour de cassation.
La question se présentait pour un copropriétaire qui avait obtenu l'autorisation d'aménager une chambre dans son grenier privatif, à la condition que des matériaux anti-feu soient utilisés et que l'installation respecte les dernières normes d'isolation phonique. Le copropriétaire n'avait pas respecté ces conditions.
Le syndicat des copropriétaires peut se plaindre, a conclu la justice. Car il est sans importance que seul un des occupants de l'immeuble, un voisin immédiat, ait réellement des motifs de s'inquiéter de la non-réalisation des travaux d'isolation, tels qu'ils étaient autorisés. Dès lors que les conditions posées par le syndicat ne sont pas remplies, il peut annuler sa décision, ont dit les juges. Ce non-respect de l'autorisation constitue un trouble collectif.
Pour prendre cette décision, le syndicat pouvait d'abord contrôler les travaux et mettre en demeure au besoin le copropriétaire de respecter les obligations imposées. Lesquelles pouvaient être plus sévères que la réglementation applicable à l'immeuble.
« Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 11 juin 2015), que les consorts X..., aux droits desquels se trouve M. X..., propriétaires de lots dans un immeuble en copropriété, ont été autorisés, lors de l'assemblée générale du 10 juin 1995, à aménager une chambre dans leur grenier privatif, sous réserve de la réalisation de travaux d'isolation phonique conformes à la réglementation en vigueur, dans les parties privatives et dans les parties communes ; que le syndicat des copropriétaires (le syndicat), estimant que les travaux entrepris ne respectaient pas ces conditions, a sollicité la remise des lieux en leur état initial ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande ;
Mais attendu qu'ayant retenu que, l'action du syndicat ayant pour objet de faire respecter la délibération d'assemblée générale du 10 juin 1995 qui avait autorisé un aménagement du grenier, sous réserve de travaux portant sur les parties communes, et de sauvegarder les droits afférents à l'immeuble, le syndicat avait intérêt à agir et, appréciant souverainement les éléments de preuve soumis à son examen, que, les pièces produites par M. X... étant imprécises en comparaison des préconisations techniques du rapport d'expertise et ne suffisant pas à justifier du respect des obligations imposées par cette délibération, le syndicat était fondé à demander la remise en état des lieux, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ».
28/06/2017 La garantie décennale s’applique lorsque les désordres affectant les éléments d’équipements rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.
M. X. a confié la fourniture et la pose d’une pompe à chaleur air-eau à une société. Invoquant des dysfonctionnements, M. X. a assigné le liquidateur judiciaire de la société, son assureur et le préteur ayant financé l'installation.
La cour d’appel de Douai a rejeté les demandes, retenant que les éléments d’équipement bénéficiant de la garantie décennale sont ceux qui ont été installés au moment de la réalisation de l’ouvrage, ce qui n’est pas le cas de la pompe à chaleur considérée par rapport à l’ouvrage constitué par la construction de la maison de M. X.
L’arrêt est cassé par une décision de la Cour de cassation du 15 juin 2017 qui énonce que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.
Toutefois, la Cour de cassation rappelle bien que le désordre doit rendre l’ouvrage « dans son ensemble » impropre à sa destination, ce qui induit qu’un désordre affectant une pompe greffée sur une installation existante et autonome, ne serait pas susceptible de présenter un caractère décennal.
« Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 21 avril 2016), que M. X...a confié la fourniture et la pose d'une pompe à chaleur air-eau à la société Inno 59, assurée auprès de la société AXA ; que cette installation a été financée par un prêt consenti par la société Domofinance ; qu'invoquant des dysfonctionnements, M. X... a assigné le liquidateur judiciaire de la société Inno 59, la société AXA et la société Domofinance ;
Attendu que, pour rejeter ces demandes, l'arrêt retient que les éléments d'équipement bénéficiant de la garantie décennale sont ceux qui ont été installés au moment de la réalisation de l'ouvrage, ce qui n'est pas le cas de la pompe à chaleur considérée par rapport à l'ouvrage constitué par la construction de la maison de M. X... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, la cour d'appel a violé le texte susvisé »