SUR L'IMPROPRIETE A LA DESTINATION DANS UN DELAI PREVISIBLE

15/10/2017 - Le Conseil d'Etat vient de rappeler le périmètre de cette notion propre à la Justice administrative.

Par un marché de travaux publics notifié le 26 janvier 1996, la SNCF avait confié la construction du viaduc de Cavaillon à un groupement conjoint d'entreprises pour la réalisation d'une charpente métallique et des appareils d'appui, et à un autre groupement solidaire pour les ouvrages de génie civil. L'ouvrage était devenu la propriété de Réseau Ferré de France. La maîtrise d'oeuvre du marché avait été assurée par la SNCF.

Neuf ans après la réception, la SNCF avait décelé des défauts sur des appareils d'appui du viaduc. Agissant en son nom propre et  pour le compte de Réseau Ferré de France, elle avait saisi le juge des référés d'une demande d'expertise, puis au fond tendant, en condamnation solidaire des entreprises titulaires du marché.

Par un jugement du 24 juin 2014, le tribunal administratif de Paris avait rejeté la demande de Réseau Ferré de France. SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau Ferré de France, s'était pourvu en cassation contre l'arrêt du 26 octobre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Paris avait rejeté son appel contre ce jugement. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a admis son pourvoi qu'en tant que cet arrêt a rejeté ses conclusions relatives aux désordres liés à l'extrusion des plaques de polytétrafluoroéthylène :

«
Considérant qu'il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure ; 
 
Considérant qu'après avoir relevé que l'expert avait constaté qu'une forte extrusion de plaques de polytétrafluoroéthylène affectait 8 des 70 appareils d'appui du viaduc et qu'il existait un risque que ce désordre évolue dans un avenir proche et compromette alors la solidité de l'ouvrage et le rende impropre à sa destination, la cour administrative d'appel de Paris a jugé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'aucun autre élément du dossier ne venait corroborer l'hypothèse d'une aggravation certaine, dans l'avenir, de ces désordres ni celle d'une nécessaire modification des conditions de circulation des trains et que l'établissement public requérant ne faisait notamment état, sur ce point, d'aucune évolution récente de l'état du viaduc ; qu'en en déduisant qu'en l'absence d'évolution prévisible de ces désordres, même à long terme, la responsabilité des constructeurs et celle du fabricant ne pouvaient pas être engagées, la cour n'a pas méconnu les principes rappelés au point précédent ; 
 
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que SNCF Réseau n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant que celui-ci a rejeté ses conclusions relatives aux désordres liés à l'extrusion des plaques de polytétrafluoroéthylène
».

Conseil d'Etat, 31 mai 2017, n° 395598, inédit au Recuel Lebon.



LES CONTOURS DE LA NULLITE DE LA VENTE POUR INTERPOSITION

27/09/2017 - Les agents immobiliers ne peuvent acquérir, ni par eux-mêmes ni par personnes interposées, les biens qu’ils sont chargés de vendre sous peine de nullité. Sauf que ...:

Les mandataires ne peuvent acquérir, ni par eux-mêmes ni par personnes interposées, les biens qu’ils sont chargés de vendre sous peine de nullité, conformément aux dispositions de l’article 1596 du Code civil. Il est donc interdit aux agents immobiliers de se porter acquéreurs des biens pour lesquels ils ont reçu un mandat de vente. 
 
Mais, selon la Cour de cassation, une société ayant un établissement secondaire à même adresse que l’agence immobilière détentrice du mandat de vente, mais un siège social distinct, peut valablement se porter acquéreur du bien vendu, sans faute d’interposition. 
 
Voici l’affaire : un vendeur confie un mandat de vente à une agence immobilière. La vente est conclue, mais la réitération de la vente par-devant notaire intervient au profit d’une personne s’étant substituée à l’acquéreur initial, disposant d’un établissement secondaire à la même adresse que l’agence immobilière, ayant le même dirigeant et des activités presque semblables. 
 
Le vendeur assigne cette société en annulation de la vente au visa de l’article 1596 du Code civil. Il st débouté et fait appel. La cour d’appel rejette la demande au motif que le fait que l’acquéreur ait un établissement secondaire à la même adresse que l’agence immobilière ne prouve pas l’interposition dès lors que les deux sociétés ont un siège social distinct. Par un arrêt du 18 mai 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi, estimant que la preuve de l’interposition n’était pas rapportée. 
 
Il avait déjà été jugé qu’il y avait interposition, et donc acquisition illicite, lorsque la société qui se portait acquéreur avait le même gérant et le même siège que l’agence immobilière ayant reçu mandat (Cass. 3e civ. 2 juillet 2008 n°07-15509). 
 
En revanche, pour la Cour de cassation, l’interposition n’est pas établie lorsque l’acquéreur a un siège distinct de celui de l’agence immobilière, quand bien même aurait-il un établissement secondaire à la même adresse et le même dirigeant. 
 
L’interdiction ne s’applique pas non plus au négociateur salarié de l’agence qui acquiert pour lui-même, à titre personnel et non pour le compte de son employeur (Cass. Civ. I, 18 juin 2014, n° 13-18010 ). 
 
Cass. Civ. III, 18 mai 2017, n°16-14972 


LES SINISTRES CAUSES PAR UN INSERT RELEVENT DE LA RESPONSABILITE DECENNALE 

26/09/2017 - La Cour de cassation a confirmé le 14 septembre 2017 sa jurisprudence sur les éléments d'équipement dissociables adjoints à un existant, s’agissant en l’espèce d’un insert à l’origine de l’incendie d’un immeuble :

Les éléments d'équipement dissociables au sens des articles 1792-2 et 1792-3 du Code civil sont à l’origine d’une abondante jurisprudence. A l'origine, la Loi Spinetta distinguait l'élément dissociable de l'ouvrage neuf, soumettant ce dernier à une garantie de bon fonctionnement de deux ans (article 1792-3). 
 
La Cour de cassation précisa le 11 septembre 2013 (Cass. Civ. III, 11 septembre 2013, n° 12-19483) que seuls les éléments d'équipement dissociables « destinés à fonctionner » étaient éligibles à la garantie de bon fonctionnement, laissant à part les éléments d'équipement dissociables inertes qui ne pouvaient bénéficier que de la garantie seule décennale, à condition que les vices soient de nature à compromettre la destination de l'ouvrage tout entier, sauf à constituer des dommages intermédiaires pour faute prouvée. 
 
L'Ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005 portant modification de diverses dispositions relatives à l'obligation d'assurance dans le domaine de la construction avait opéré une distinction applicable à l'ensemble des éléments d'équipement dissociables ou non, selon qu'ils avaient ou non une fonction exclusivement professionnelle, excluant ces derniers des garanties légales de bon fonctionnement et décennale. 
 
S’agissant de l’élément d'équipement installé sur un ouvrage existant, la Cour de cassation avait considéré que les vices l'affectant ne relevaient pas des garanties légales (Cass. Civ. III, 10 décembre 2003, n° 02-12215 ; Cass. Civ. III, 18 janvier 2006, n° 04-17888 ; Cass. Civ. III, 19 décembre 2006, n° 05-20543 ; Cass. Civ. III, 12 novembre 2014, n° 12-35138).
 
Désormais, et depuis son arrêt du 15 juin 2017, la Cour de cassation considère que l'élément d'équipement adjoint à l’ouvrage existant est éligible à la garantie décennale, à condition néanmoins de causer un désordre de nature à compromettre la destination de l’ouvrage existant. Cette jurisprudence s’appliquait aux pompes à chaleur (Cass. Civ. III, 15 juin 2017, n° 16-19640). 
 
La Cour de cassation a réitéré cette analyse à propos d'un insert de cheminée (Cass. Civ. III, 14 septembre 2017, n°16-17323) dans les termes suivants : 
 
«
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 17 mars 2016), qu’un incendie trouvant son origine dans un insert posé par la société J., assurée en responsabilité civile décennale par la société Mutuelles du Mans Assurances IARD (les MMA), a endommagé l’immeuble appartenant à M. et Mme X..., assurés auprès de la société Allianz, dans lequel la société Auberge de l’H., également assurée par la société Allianz, exploite un fonds de commerce de restauration ; que la société Auberge de l’H. a assigné en réparation de son préjudice la société J. et son assureur, lesquels ont été assignés par la société Allianz en remboursement des indemnités versées à ses assurés ; 
 
Attendu que, pour rejeter les demandes des sociétés J. et Allianz à l’encontre des MMA, l’arrêt retient que les travaux d’installation de l’insert ne sont pas assimilables à la construction d’un ouvrage, que l’insert ne peut pas davantage être qualifié d’élément d’équipement indissociable puisqu’il ne résulte d’aucun élément du dossier que la dépose de l’appareil serait de nature à porter atteinte aux fondations ou à l’ossature de l’immeuble et que, s’agissant d’un élément d’équipement dissociable adjoint à un appareil existant, la responsabilité de la société J. n’est pas fondée sur l’article 1792 du code civil ; 
 
Qu’en statuant ainsi, alors que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, la cour d’appel a violé le texte susvisé
». 
 
Nonobstant des commentaires défavorables, ce revirement est louable car il comble un vide juridique à propos des inserts, cause de sinistres de grande ampleur, et laissant artisans et poseurs dans le plus complet désarroi.

Cass. Civ. III, 14 septembre 2017, n° 16-17323


UN PEU D'HUMOUR ... JUDICIAIRE 

20/09/2017 - Pour la Cour d'appel d'Orléans, l'assureur dommages ouvrage est l'assureur ... du constructeur, de sorte que la demande d'expertise sans déclaration préalable de l'assuré « à savoir le constructeur », est recevable. Voici les attendus de cet arrêt ... inattendu :

« Attendu qu’il est constant que la société DTT. a bien reçu une déclaration de dénonciation des désordres formulée par Gérald F. [le maître d’ouvrage] le 20 juin 2015 et qu’elle n’a pas régularisé de déclaration de sinistre auprès de son assureur dommages- ouvrage ; Que le premier juge a considéré que l’exception d’irrecevabilité n’était opposable qu’au constructeur et non à Gérald F. ; Attendu que pour mettre en œuvre la garantie de l’assureur de dommages ouvrage obligatoire, l’assuré est tenu de faire une déclaration de sinistre à l’assureur, lequel doit alors désigner un expert ; 
 
Attendu qu’il est constant que la SA X. Assurances est l’assureur dommages ouvrage du constructeur, et non celui de Gérald F. , de sorte que c’est à juste titre que le premier juge a prononcé comme il l’a fait, puisque l’obligation d’avoir recours à la procédure contractuelle pèse sur l’assuré, à savoir le constructeur, mais non sur le maître de l’ouvrage ; Attendu qu’il y a lieu de confirmer la décision querellée
». 

Gageons que cet arrêt prononcé le 18 septembre 2017 et portant le n° 413/2017 ne sera pas publié. Pour la Cour de cassation, l'irrecevabilité est évidemment depuis longtemps encourue : « la cour d'appel, qui a relevé que le syndicat des copropriétaires « Le Victoria Beach » et l'association foncière urbaine libre de la promenade du soleil n'avaient pas déclaré leur sinistre à l'assureur dommages ouvrage avant de saisir le juge des référés pour expertise, en a déduit à bon droit que leurs demandes étaient irrecevables ».

Cass. Civ. III, 8 avril 2014, n° 11-25342.


DOMMAGE OUVRAGE 

12/09/2017 - L’assurance ne couvre pas le préjudice lié à la renonciation au projet de construction. 

Il avait déjà été jugé que l’indemnité allouée par l’assureur dommages-ouvrage devait être seulement affectée aux travaux réparatoires. Par un arrêt du 5 juillet 2017, le Conseil d’Etat rappelle ce principe et en tire la conséquence : l’assuré n’est pas fondé à demander à son assureur dommages-ouvrage le versement d’une indemnité excédant le montant total des dépenses de réparation qu’il aurait effectivement exposées et dont il doit justifier auprès de son assureur
 
En revanche, le maître d’ouvrage n’est pas fondé à réclamer à son assureur une indemnité correspondant au coût de construction des logements qu’il a en réalité renoncé à édifier. 
 
En l’espèce, un Office Public de l’Habitat (OPH) avait conclu un marché en vue de la construction d’un ensemble de logements. En raison de la défaillance de l’entreprise de gros-œuvre, il avait fait démolir les bâtiments déjà réalisés et avait renoncé à construire les logements prévus. Il avait demandé la condamnation de son assureur dommages-ouvrage au titre de ce sinistre. Il avait eu gain de cause en première instance. La Cour Administrative d’Appel de Bordeaux avait limité son indemnisation au coût de remise en état du terrain. L’OPH a alors formé un pourvoi. 
 
Le Conseil d’Etat a ainsi rappelé que l’assuré est tenu d’utiliser l’indemnité versée par l’assureur dommages ouvrage en réparation d’un dommage causé à un immeuble bâti pour procéder à la remise en état effective de cet immeuble ou pour la remise en état de son terrain d’assiette. En revanche, le maître d’ouvrage ne peut à bon droit mobiliser l'assurance dommages-ouvrage pour être indemnisé du coût de construction de logements finalement non édifiés:

« 3. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 121-17 du code des assurances : " (...) les indemnités versées en réparation d'un dommage causé à un immeuble bâti doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble ou pour la remise en état de son terrain d'assiette (...)./ Toute clause contraire dans les contrats d'assurance est nulle d'ordre public./ (... ) " ; qu'aux termes de l'article L. 242-1 du même code : " Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l'ouverture du chantier (...) une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'assuré est tenu d'utiliser l'indemnité versée par l'assureur en réparation d'un dommage causé à un immeuble bâti pour procéder à la remise en état effective de cet immeuble ou pour la remise en état de son terrain d'assiette ; que, par suite, l'assuré n'est pas fondé à demander à son assureur dommages-ouvrage le versement d'une indemnité excédant le montant total des dépenses de réparation qu'il a effectivement exposées et dont il doit justifier auprès de son assureur ; qu'il suit de là qu'en jugeant que l'OPH de la Haute-Garonne n'était pas fondé à demander à la société Covea Risks la part de l'indemnité correspondant au coût de construction des logements à l'édification desquels il avait renoncé, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a entaché son arrêt d'aucune erreur de droit ; 
 
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'office public de l'habitat de la Haute-Garonne n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque
 ».

CE 5 juillet 2017, n° 396161.